Les rabatteurs de glace
A force d'éternuer son nez qui avait tourné au rubicond versa une goutte sur la large poutre de bois qui lui servait d'assise. Ses pieds se balançant librement dans l'air, le jeune garçon souffla sa mèche brune qui lui descendait un peu trop sur le visage. Il essuya du revers de sa manche son nez pour en retirer la poussière de bois qui lui chatouillait depuis trop longtemps les narines. Ce bois était plus coriace que les dents du vieux Godfab. Il ne parvenait pas à le creuser de façon à rendre la tête parfaitement droite. Il perdait son temps. Chaque coup porté à la poutre était grossier. Son poinçon porc-épic le plus affiné usé jusqu'au manche ne taillait plus que des trajectoires d'ivrognes. Mais il voulait encore croire qu'il lui restait une chance de pouvoir mêler à l'arabesque du bois son plus majestueux trophée de chasse, premier prix d'une capture difficile au cœur de la forêt enneigée de Sisnos ; une tête de cerf.
Elle trônerait ici jusque la fin des temps au côté des œuvres des rabatteurs perdues. Elle dépasserait par sa magnificence ou plutôt par sa présomption comme le disait Godfab la plupart des scènes de chasse de la grande pièce. Elle demeurerait trésor du sanctuaire des rabatteurs de glace à jamais.
Alors que l'artiste rêvait de foules enthousiastes et de révélation d'un artiste sinosien à Tadil. Un homme enroulé d'une veste marron décousue vers le sol entra dans l'antichambre. Le son tintant et étouffé de son arc contre le fourreau de son épée révéla à Kléor que le chasseur s'apprêtait à partir en chasse.
« Lorsque tu aura fini de souiller la poutre de l'antichambre avec la dépouille de ce maladroit fan Kléor. Repense à la funeste année que je t'ai promis en échange de ton comportement pitoyable. Je ne serais pas long Kléor. Quand tu descendra. Je serais là. C'est une promesse de rabatteur. » Cria le chauve sans prendre le temps de lever la tête vers le ciel. Sans plus un mot Godfab s'en alla d'un pas lourd.
Kléor lui rendit comme seule réponse son regard noir les poings fermés sur la poutre qui le gardait perché à deux hommes du sol. De toute façon Godfab n'avait aucun moyen de l'attraper pour l'instant et Kléor n'avait pas l'intention de descendre. Pas tout de suite en tout cas. Il avait la seule corde enroulée sur la poutre décorée au dessus de sa tête et Jamp, le petit rouquin lui apportait à manger tous les matins... Pas aujourd'hui. Son ventre grondait de colère. Pour la peine il avait déjà réduit sa participation à la traque du monstre sur la poutre à une malheureuse ligne mal orthographiée et toute ratatinée dans un angle. Jamp ne savait pas encore bien lire. Même s'il était plus âgé et même si c'était lui qui avait tué le monstre duveteux, il ne s'apercevrait pas de cette trahison se dit il un sourire en coin.
Pourtant Kléor savait bien sans se mentir qu'il ne pourrait pas faire comme les moines ascètes de Balam qui se privaient de manger pendant tout une journée. Il allait devoir trouver une solution. Il fallait attendre la nuit lorsque Godfab serait en train de chasser avec les autres.