"Excusez moi ! Pardon !" A coup d'épaule et à force d'habitude, Merian parvenait à se frayer un chemin au travers de l'abondante foule qui circulait en ce début de soirée sur le pont d'Irales. Le vieil homme avait passé toute sa matinée à chercher quelqu'un qui l'escorterai jusqu'à la cité diablement dangereuse d'Etheas. Mais personne. Non personne ne semblait vouloir risquer sa vie pour quelques Tad. Le vent soufflait fort sous les arcades du pont et ses quelques touffes de cheveux couleur poivre s'envolèrent frottant son crâne dénudé. "Glacial ! Tout simplement glacial." Dit il en grinçant les dents.

"Excusez moi monsieur." Siffla une voix derrière lui. Un jeune homme barbu et visiblement bien plus grand que lui et surtout plus costaud posa lourdement sa main sur son épaule. L'étranger était visiblement plus sûr que lui et Merian prit son air le plus agréable pour éviter qu'il n'emporte avec lui ce qui lui restait de bras. " Que me voulez vous ?" L'homme sentait l'odeur des chevaux et Merian devinait qu'il était sans doute un rival. Cet homme approcha donc sa tête à l'oreille du vieux Merian et lui souffla : "Je sais qui vous êtes et vous n'êtes pas le bienvenue ici. Asos n'est pas la terre d'immigration de tous ces voleurs que l'on appelle descendant. Repartez à l'aurore ou bien moi et mes compagnons nous feront une joie de vous écraser la prochaine fois que vous ferez halte dans un bâtiment des tempestaires."

Merian se dégagea doucement de l'emprise du tempestaire et avança sans se retourner, mal à l'aise à l'idée qu'il était démasqué. Il continua sa route alors que l'étranger était sans doute en train de le fixer d'un œil menaçant. "Mon Dieu !" Merian ne s'attendait pas à ce qu'un tempestaire ai pu surprendre sa vieille carcasse à fouiner dans les livres du monastère. Mais c'est quand même à l'intérieur de l'un d'entre eux qu'il avait pu découvrir que plusieurs faucheurs s'étaient bien organisés pour pouvoir tromper l'inquisition dans les cités de Tadil. Il y a avait ainsi à Asos des quartiers réputés pour être particulièrement fréquentés par des des faucheurs. Mais bien sûr tout cela restait de l'ordre de l'informel. L'auteur du livre par contre lui en avait donné quelques noms.

Merian massa son épaule douloureuse tout en avançant vers un des nombreux établissement de la cité que lui avait conseillé le faucheur et s'arrêta net sous l'enseigne qui indiquait un coutelier de père en fils. Avec un peu de chance il trouverait ce qu'il était venu chercher.

"Je cherche un arrangement, coutelier pas une nouvelle lame, aussi bien affutée soit elle." Répondit Merian calmement. Merian jeta un regard distrait sur la gamme des lames pour laquelle le négociant semblait vivre et en déduisit rien qu'à allure méprisable de ce qu'il proposait qu'il faisait un piètre coutelier.

Plus il vieillissait plus Merian avait apprit qu'il valait mieux cacher ses intentions mais cette époque était si trouble qu'il lui fallait souvent prendre des risques. Et alors plutôt que de perdre son temps en discussion, Merian joua un pari audacieux. Alors que le négociant pestait contre Balam parce le vieil homme lui faisait perdre son temps Merian attrapa le col de la veste du marchand et lui murmura en plongeant son regard le plus sévère dans le sien : "Je cherche un moyen de me rendre à Etheas ! Et je paie bien."

Merian ne savait pas trop à quoi s'attendre peut être l'homme allait il reculer, apeuré ou bien crier à la garde. Mais le coutelier resta très calme et fronça ses sourcils broussailleux tout en retirant les mains de Merian de son col. "Vous ! Vous avez de drôles façons d'acheter mes couteaux." Puis se retournant vers l'autre vendeur le coutelier cria en se posant la main contre le front "Gardon ! Viens ici et demande à notre hôte s'il est intéressé par la proposition du vieillard." Gardon, qui voyait le faucheur partir tira sur la cape d'un bleu uni du client en pointant l'index vers les deux hommes.

Alors Merian regarda approcher un homme plutôt grand, peut être la trentaine, un voyageur sans aucun doute. Certainement un ménestrel ou bien un scribe se disait il en constatant qu'il tenait dans ses mains pâles un parchemin particulièrement effrité et jaunit. Cet homme lui faisait peur. Il n'avait pas l'air aimable. Pouvait il s'agir d'un faucheur ? Les mains du vieillards tremblotèrent légèrement comme à chaque fois lorsqu'il ressentait ce mélange de surprise et de suspicion.

Merian, gêné par la présentation si soudaine de l'homme à la tunique bleu tira lentement sur sa peau du cou. Tout en gardant son plus grand sérieux il dit à l'homme qui s'apprêtait à partir : " Vous ratez plus qu'une compagnie désagréable monsieur. Si vous connaissez cette région ! Je connais très bien Asos. Je pourrais certainement vous aider. C'est une ville si grande que je doute que vous refusiez une occasion de passer à côté de son meilleur scribe et parcheminier qui a eu la chance de recopier les ordres de direction de plusieurs cargaisons de magnase." C'était faux bien entendu. Jamais il n'avait écrit de tel acte. Il fallait faire parti de l'inquisition pour avoir le droit d'accéder à ces informations. Mais Merian avait eu la chance de discuter avec un tel scribe un soir d'hiver. Cet homme du nom de Morelon Vigor qui était aussi âgé que lui et assez connu à Asos sous le sobriquet du scribe de la terreur avait soudainement disparu il y a moins d'une semaine. Les rumeurs rapportaient qu'il avait même été dans sa jeunesse défenseur des faucheurs et que ses idéaux avaient soudainement refais surface à la grande peine de l'inquisition qui le cherchait. Le tout était maintenant d'espérer que Merian soit assez bon comédien pour retenir l'attention de l'étranger.

Il arrivait parfois à Merian de vanter la qualité de ses traits et de ses ornementations colorées mais jamais il ne l'avait fait aussi vilainement dans une simple boutique de coutellerie. Il avait besoin d'aller à Etheas ! Et il avait besoin d'un guide sans quoi jamais il ne pourrait jamais mettre la main sur les quelques écrits des parfaits que les mages y avaient entreposé. Peut être parviendrait il à consulter les objets des siècles passés de l'ère de Balam ? Peut être cet homme pouvait l'aider en échange de faux actes comme il avait dû en écrire il y a quelques saisons à un mauvais sculpteur de bois.

Mais encore une fois, il prenait d'énormes risques avec cet étranger. Peut être s'agissait il d'un inquisiteur. Car il savait que certains ne portaient pas le blason du roi ou encore peut être parlait il à un fils de Vigor ? Mon Dieu. Le tout pour le tout pensa t-il ? " Je suis Morelon. Vous pouvez m'appeler comme ça pour le moment. Je suis tombé en disgrâce depuis que l'inquisition à découvert mon double jeu. Mais j'ai encore dans ma poche quelques tours qui pourraient les surprendre et c'est pourquoi ils me traque. Oh ! Bien sûr ils sont bien trop malin pour venir en tenue vers moi et ils prennent souvent l'apparence de tempestaire pour leurrer ma surveillance. Mais croyez moi si je ne suis pas parti avant demain matin, ma vie et vos chances de faire tourner au vinaigre les prochains convois seront réduites à néant."

La nuit était tombée et une légère bruine battait le pavé de la cité lorsque Merian l'avait quitté. C'est en soulevant son sac avant de partir que Merian s'était attristé parce qu'il le trouvait bien trop léger pour un habitant d'Asos. Mais peu importe il n'avait jamais vraiment aimé cette cité. Elle était trop grande, trop impérieuse pour un scribe d'aussi piètre qualité que lui. Alors pourquoi cette idée de partir comme un voleur le titillait t'elle autant ? Le visage de sa sœur nettoyant ses vieux habits dépenaillés lui revint alors à l'esprit comme une vilaine claque sur sa figure. "Oui." Grommela t'il. Joa me manquera peut être un peu. Joa était plus jeune que lui, elle avait repris le commerce de ses parents dans un petit quartier d'Asos et avait offert à Merian l'occasion de rencontrer le premier descendant. Ah ! Petite soeur ! Se dit-il en laissant remonter à la surface le lui de son enfance. Tu as bien fait de rapporter à papa que j'avais chapardé les quelques pièces du comptoir car c'est dans cette rue que le vieux voyageur, m'avait fait signe d'aller boire une verre avec lui.

Merian était assez jeune lorsqu'il avait quitté la maison de ses parents qui était avec le temps devenue celle de Joa et de son mari. Joa n'avait qu'un jeune garçon et sans doute croyait t'elle Merian mort jusqu'à ce qu'il lui fasse la surprise de sa venue en jouant au dés avec le jeune blondinet dans la cour de la vieille maison. Merian n'était pas si certain qu'elle l'avait vraiment reconnu et peu importe finalement. L'homme chassa de son esprit ce vieux souvenir et quitta les dernières maisonnées d'Asos pour rejoindre un sentier boueux qui le menait au plus près de la vieille forêt. J'espère que cet homme tiendra sa promesse. Il était certain désormais d'avoir à faire à un dangereux magicien et il décida à l'avance de ne plus brusquer l'homme comme il l'avait fait chez le coutelier. Peut être que la flatterie lui fera ralentir la marche se disait il en souriant. Ou l'or ? Merian glissa de ses poches les derniers Tad qu'il avait pu garder de son dernier séjour dans la cellule d'un petit poste de garde. Il les recompta bien qu'il devinait qu'il n'avait pas de quoi nourrir un glouton Asosien mais après tout se rassura t'il ses nombreux voyages l'avaient habitués à peu et il savait qu'il trouverait des repas chauds en échange d'histoire. Pourvu qu'il soit là se répétait il en montant le petit sentier.

Merian n'était pas à l'aise à devoir voyager en compagnie du magicien dont il ne savait pas même le nom. Il ne savait rien de cet homme, si distant, si froid. Les magnates n'étaient pas très altruiste et encore moins aimable avec les curieux. Ce sont des fous ! Ils ont renié les préceptes de Balam disent les gens d'Asos. Ils ne respectent plus rien, ni même la vie humaine. Ils sont suffisants, malins, et meurtriers. Ils tuent jusqu'à leurs frères lorsqu'ils en ont l'occasion. Qu'est ce qui lui prenait d'en suivre un maintenant ? Merian releva un peu son sac qui ramassait la gadoue du sentier et continua sa procession silencieuse au côté de son compagnon. Si l'on peut appeler compagnon un homme qui n'avait pas prit la peine de croiser son regard. Un homme qui ne lui avait que rappelé qu'il était arrivé en retard. Abruti pensa t'il au plus profond de lui. Le magicien sortit du sentier et s'adossa lentement contre le tronc d'un vieil arbre et ferma les yeux.

Surpris, Merian passa ses mains fripées sur son crâne, lissant en arrière le peu de cheveux qui lui restait et s'agenouilla sans rien dire aux côtés du magicien mais en tordant son visage d'une grimace d'agacement. Il tentait de se calmer. En dépit du couché du soleil la forêt avait gardé une palette de couleur qui le terrifiait. Pourquoi s'arrêtait il en plein milieu ? Comme souvent lorsqu'il était nerveux, Merian calma ses nerfs en tordant son châle et se demandait qui pouvait bien être cet homme et à quoi jouait il en cet instant.

A mesure que l'homme gardait les yeux fermés, Merian était gagné par la peur. Il ne comprenait pas ses manières, il ne savait pas à quoi s'attendre, il avait peur de cet homme qu'il ne comprenait pas. Ses mains tremblèrent et tendirent fortement le châle marron qui failli se déchirer.

Avec retenue, il demanda en grinçant les dents : "Que faites vous donc ?"

L'homme rouvrit enfin les yeux et Merian ne tarda pas une seconde à plonger son regard dans le sien comme si le simple fait de croiser son regard pouvait l'amener à discuter avec lui. Mais le mage ne s'en souciait que trop peu et se leva sans rien dire pour ramasser du vieux bois recouvert de mousse. Et c'est juste avant de disparaitre dans l'obscurité des arbres qu'il mit en garde Merian contre les dangers de la foret avec une certaine désinvolture, ce qui excita la colère de Merian. Le vieil homme ne supportait pas son comportement suffisant et indépendant. Il tordit d'abord ses lèvres entre ses dents et répondit ensuite d'un ton sarcastique en criant à demi pour rendre audible ses paroles : " Vous avez raison ces créatures sont stupides. Et c'est bien dommage qu'elles ne fassent pas la différence entre un être aussi froid et indigeste que vous l'êtes et un homme que vous avez promis d'accompagner parce qu'il détenait des informations plus juteuses qu'un med. Mais peut être la ferez vous !"

Lorsque le mage revint se poser autour du feu, Merian admira cet homme plutôt maigre s'assoir et tirer son couteau pour trancher une unique part de viande séchée. Dans un premier temps le scribe le regarda manger en pensant que peut être lui viendrait à l'esprit l'idée de partager son repas. Mais voyant finalement que l'homme était résolument égoïste, Merian finit à contrecoeur par sortir à son tour un morceau de bœuf qu'il avait acheté en prévision du voyage. La viande avait été fumée mais elle s'était imprégnée entre temps d'une odeur ragoutante qu'il connaissait bien. Aussitôt Merian tata le fond de son sac et se couvrit les doigts d'un liquide bleu noir. Il amena alors ses doigts sous son nez et devina avant même d'inspirer l'air qu'il avait perdu son encre lorsqu'il avait jeté violemment son sac contre la seule pierre saillante de l'endroit sale ou il bivouaquait. Le scribe essuya ses doigts sur un rebord du sac et entreprit de couper à l'aide de son coutelas tous les morceaux de viande qui étaient imprégnés d'encre alors que le mage à côté de lui examinait d'un air satisfait un couteau.

C'est lorsque Merian jeta le dernier bout de viande dans le feu que les deux hommes entendirent des bruits de pas rapprochés mais peu bruyants, car très certainement pensaient ils les feuilles en étouffaient le son. Merian se redressa de tout son haut et avant qu'il n'ai pu dire quelque chose : le mage afficha un sourire mi figue mi raison et lui dit que des invités allaient bientôt les rejoindre. Et alors que Merian avaient réussi à oublier le caractère terrifiant de cette maudite forêt, toutes les craintes de mort se déversèrent sur le vieil homme comme un torrent de boue qui engluait son bon sens.

Merian tira son coutelas et demanda d'une voix ferme qui masquait à peine sa peur ce qu'il fallait faire car déjà une forme sombre venait de les contourner sans qu'il n'en n'aperçoive l'acteur.

Le cynisme du mage se faisait de plus en plus incisif et Merian s'y piquait les doigts à chaque fois qu'il s'adressait à lui. "Surveillez les chatons !" avait il dit sur ce même ton hors de propos. Merian se retourna alors maladroitement vers la silhouette du premier reptile qui marchait lentement dans les fourrés. La créature avait une véritable attitude de félin. Elle avançait la tête au ras du sol, secouant parfois très rapidement les herbes voisines en battant ses ailes déchirées comme une sauterelle qui prépare son envol. Sa longue queue constituée d'os saillants s'arrêta soudainement de battre la mesure et se figea dans l'air. D'un coup, d'un seul, la créature fit un petit bon extrêmement rapide vers Merian qui sursauta devant la précipitation de l'avancée et se recula trébuchant contre le tronc d'un arbre juste derrière lequel l'autre enama s'approchait malicieusement.

Le scribe tressailli de nouveau et son regard croisa celui de la bête malicieuse. Ses yeux d'un bleu criard perçaient l'obscurité des fourrés comme la foudre le faisait au travers d'un mauvais couvert nuageux; avec aisance, violence et enchantement. Merian se recula rapidement de l'arbre. Il était prisonnier et les deux bêtes ne faisaient que dresser l'étau dans lequel il s'engouffrait avec une telle fatalité qu'il en aurait bien pleuré.

Il ne pouvait pas mourir ainsi. Il y avait tout le travail d'une vie à l'intérieur de son sac. Inquiet à l'idée de perdre l'œuvre de sa vie mais rassuré à l'idée qu'il y avait encore quelque chose qui méritait que l'on se batte jusqu'à la fin. Merian recula plus sûr de lui, ses poings fermés sur son coutelas dont la lame pointait en direction du sac de toile. Peut être que la créature lui laisserait le temps de récupérer son sac ? Peut être que s'il se baissait lentement la créature n'attaquerait pas ? Merian n'eut pas le temps de formuler une autre crainte que l'enama sauta sur le sac à dos posant son corps et sa tête au ras du sol pour bien signifier que cette option n'en n'était plus une. "Par les cornes de Balam !"

L'autre créature était plus grande et ressemblait beaucoup à un homme mais à un homme terrifiant sans visage et sans muscle, une forme grise ou toutes les formes musculaires étaient étouffées derrière un voile d'un teint bleuté. Le faucheur à côté de lui tenta de la faire reculer en employant le feu mais visiblement la langue de feu ne le dérangea aucunement. Comment se pouvait il ? Merian en vient même à se demander si l'homme qui l'accompagnait était vraiment un si bon magicien ? Il croisa le regard du mage, il cherchait à y lire un ordre de fuite. Mais le mage ne lui répondit d'un air maussade que la partie ne faisait que commencer. Et sans vraiment comprendre pourquoi, cette apparente absence de méfiance lui redonna confiance. Peut être parce que c'est tout ce qui lui restait ? Seulement un espoir !

Passé la surprise, Merian, sa lame en main, fixa une unique créature, celle qui était sur le sac et la toisa d'un air sévère jusqu'à ce qu'elle se sente agacée et propose en dépit d'une grande rangée de dent un autre couloir de fuite. Merian criait des "Ah !" et des "Ouh !" comme il l'avait vu faire chez les dresseurs de chevaux qui tentaient de faire fuir les animaux sauvages. Il accompagnait chaque cris d'avancée brusque qui rappelait peut être aux créatures qu'elles ne chassaient pas un simple lièvre. Cela ne les faisait pas fuir le moins du monde. Mais il semblait suffire à dissuader les créatures d'attaquer... Pour l'instant.

Merian qui se concentrait pour suivre des yeux les deux vils créatures cria à son ami concentré dans il ne savait quel farfelu sortilège: "Dites moi jeune faucheur ! J'aimerais beaucoup que vous fassiez marcher votre incroyable magie au risque de me surprendre car je n'ai vraiment pas envie de finir les fesses à l'air tournant autour d'une broche de fer."

Projeté en avant, Merian devint l'espace d'un instant, le paquet d'un vieux bourru qui l'avait poussé au sol d'un coup d'épaule de la même façon que s'il avait défoncé une porte. Le scribe s'abattit de tout son haut sur le sol, soufflant devant lui les feuilles mortes recouvertes de boue. Son nez s'était juste enfoncé dans la terre lorsque l'éclair du ténébreux percuta le sol tout près du dernier enama qui ne manqua pas de s'enfuir devant le terrible déchainement de pouvoir dont il ne pouvait être que spectateur.

Merian resta un moment à terre sonné et pensa subitement que si le perce oreille en avait été capable, il aurait pu lire sur son visage un mélange de peur mêlée à un effarement complet. Le mage lui avait sauvé la vie ! Mais plus encore il avait failli rejoindre Balam. Très vite ses élucubrations s'évanouirent lorsque de singulières sonorités mais qui malgré tout tintèrent coutumière à son oreille furent désespérément criées par le ténébreux.

« C'est un parfait ?! » Pensa t'il à voix haute. « Attends ! » Cria t'il alors qu'un objet, soigneusement ciselé et décorés de part en part de symboles parfait, aspirait comme un ogre affamé le ténébreux qui avaient cessé d'hurler mais dont les mugissements semblaient habillés jusqu'aux dernières notes d'un terrifiant refrain parfait. Merian, ébahit par cette capture et plus encore par l'objet qui l'avait rendu possible, n'en revenait pas. L'homme détenait un réservoir magique, un des derniers, somptueux, et improbable réservoir de parfait. Pire encore, il s'en servait comme récipient à monstre. Les objets magiques fabriqués par les Parfaits eux même. De la fine sculpture, un contenant de sagesse, d'histoire, de mémoire réveillé pour charger de la chair informe. Alors que l'homme se laissa tomber sur le sol comme s'il venait d'accomplir le plus beau combat de sa vie, Merian le toisa de haut et d'un air écœuré lui dit :

« Que Balam vous pardonne ! Vous êtes si préoccupé par votre nombril de faucheur que vous en arrivez jusqu'à pervertir les œuvres sacrés de vos ancêtres. »

Jamais il n'avait ressenti une telle haine envers une personne dont il était en même temps devenu très dépendante. "L'avez vous pillé ou volé à un autre magicien aussi férocement que vous venez de dévorer la chair du ténébreux ?" L'esprit de Merian s'embrumait d'une masse informe de nouvelles informations, plus dérangeantes les unes que les autres. Il le sentait. Trop d'informations nouvelles arrivaient trop vite et elles n'arrivaient plus à s'ancrer à bon port. Pourquoi le ténébreux parlait-il le parfait ? Pourquoi le magicien possédait l'un des derniers réservoirs magiques ? Pourquoi en voulait il à un homme qui venait de lui sauver la vie ? Devait il avoir honte de lui ? Son regard se fit incertain et lointain. Qui était il vraiment ? Son statut de descendant lui rappelait à la manière d'une petite voix qui hantait son esprit, qu'il devait garder une ligne droite, juste et intègre. "Au diable les préceptes" Murmura t'il alors que le magicien le regardait étrangement. Gêné, perdu, seul avec lui même, Merian détourna le regard et jeta son esprit sur son sac de toile éventré sur le sol gadoueux. Il devait y regrouper tous les produits de sa vie. Si peu en fait.

Merian n'osait plus regarder en face l'homme. Ces cris lui glaçaient le sang. D'un ton qu'il avait voulu rendre le plus neutre possible mais dans lequel le magicien pouvait deviner facilement sa peur, Merian lui répondit : «Il est écrit dans ce livre que quiconque lutte contre des monstres devrait prendre garde, dans le combat, à ne pas devenir monstre lui-même. Et quant à celui qui scrute le fond de l'abysse, l'abysse le scrute à son tour. »[1] Merian gratta du bout de ses doigts la maigre couche de boue qui avait commencé à sécher en éparses tâches noirâtre sur la couverture du livre. Et avec une fragile assurance, le scribe rendit à Kiryos un regard dans lequel sa colère s'était éteinte accompagnée d'un malheureux rictus teinté d'amertume.

« Vous mettez en esclavage un être avec cette tranquille assurance. Vous ne vous apercevez pas que vous rongez son âme avec ce pouvoir infame. Je n'ai jamais regardé les parfaits comme des monstres mais comme une civilisation qui possédait une pensée magique que les hommes n'ont pas su comprendre et qu'ils ont détruite brutalement parce que l'un d'entre eux a été sacrifié sur un autel de divinités qu'ils n'ont jamais aimé. Et a vous entendre j'ai bien l'impression qu'ils ne la comprendront jamais. Il est toujours très facile de dire monstre celui que l'on combat, cela évite de justifier son meurt... » Sa voix s'étouffa soudainement. Merian voulait continuer mais il sentait qu'il dérangeait ce mage dont la patience était certes une de ses qualités mais qui n'aimait pas qu'on lui résiste. Merian avait peur de mourir en vérité. Il avait encore plus peur de l'homme que de la mort. Il lui suffisait d'aspirer son âme dans sa cruche parfait et plus personne ne l'entendrait crier ou dicter des morales si décalées par rapport à ce qu'il venait de vivre.

« J'ai été attentif a votre spectacle. En vérité, … J'ai peur de ce que vous venez d'accomplir sous mes yeux, et j'ai peur que vous n'ayez comme un ouvrier de chantier abattu ce monstre comme un ouvrier abat sa journée, sans vraiment y réfléchir, juste avec un sourire de satisfaction. Mais je vous remercie d'avoir sauvé ma vie. Même si cela est parfois douloureux. Je vous dois ma vie et je vous prie d'excuser... » Merian se trouvait devant un dilemme. Il devait remercier cet homme qu'il détestait autant qu'il aimait. Est ce vraiment de l'amour ? Il toussa « ...de m'excuser. »

[1] - Friedrich Nietzsche.

Merian peinait à suivre la foulée du mage. Chaque foulée, chaque avancée, le moindre de ses pas devint rapidement trop court pour pallier la distance grandissante entre les deux hommes. Et deux, puis cinq, et bientôt dix mètres distancèrent le faucheur du scribe. Il regardait cette longue distance en étouffant sa rage. Il se jurait à lui même, qu'il pouvait le rattraper s'il le voulait vraiment. En avait-il seulement la force ? Oui. Des hommes fatigués et âgés avaient repoussé les pirates à Balti la dernière fois. Tout du moins c'est ce que l'on racontait à Asos. Ceux qui s'étaient enfuis avaient prétexté leur âge avancé mais tous les vétérans, les vieux défenseurs, ont mis en avant leur courage et la détermination à vaincre et à protéger ceux auxquels ils croyaient. Merian se rappelait qu'il se devait d'arriver au sanctuaire des Faucheurs, afin d'y retrouver les traces des ouvrages parfaits. Et il croyait fermement en la présence d'objets religieux à Asos.

Les faucheurs étaient certes des gens brutaux mais à la vue de ce que transportait son guide il se laissait penser que le monastère des faucheurs devait bien receler de choses aussi formidables de puissance que d'histoire. Tout avait un prix. Ne voulant pas laisser son esprit attacher à cette heure de l'importance de son mensonge avec le Faucheur, Merian ne pensa plus qu'au souffle rafraichissant du vent sur sa peau fripée.

Son front dégoulinait de sueur lorsque le magicien décida d'une halte. Merian ne lui avait pas adressé une seule fois la parole et se contentait de le suivre ou plutôt de le poursuivre. Il ne pouvait plus se plaindre. Il faisait comme ce qu'avait dû faire le magicien avant lui. Il endurait. Il écoutait. La route au travers des plaines avait été plutôt calme. Mais Merian devinait le mage mal à l'aise comme s'il se sentait épié. Il se retournait souvent. Oh ! Bien sûr de façon discrète. Mais il se savait attentif aux moindres bruit suspect. Si bien que Merian prenait toutes ses précautions pour ne pas faire de bruit plus qu'il n'était possible d'en faire. Néanmois l'inquiétude le gagnait et Merian après avoir bu à grande goulée l'eau de la rivière s'adressa au mage d'une voix perplexe : « Nous approchons n'est ce pas ? Vous les sentez ? » Merian frotta le creux de sa cuillère contre un bout de son châle.

Finalement le vieillard avait finit par rompre le silence. Kiryos n'allat pas capter son regard qu'il savait maintenant remplit d'inquietude. Il sentait la peur écrasante qui commencait à faire plier les volontées. Ethéas avait une réputation... dès le départ, la région avait été infestée de monstre. Oh, pas plus que d'autres, mais c'est ce qui avait en partie décidé les faucheurs pour s'installer ici. S'ils devaient combattres les monstres, autant le faire là où ils nichaient. Mais le rassemblement des énergies avait provoqué un autre problème... la recrudescende et la violence des cmbats causait des pertes énormes dans les rangs des faucheurs. La cathédrale qui leur tenait lieu de refuge avait même à un moment détruite. Si aujourd'hui beaucoup moins de faucheurs étaient rassemblés dans ces lieux, la concentration de monstre était restée quand même très élévée.

Kiryos répondit d'une voix neutre: " Non je ne les sens pas encore. Mais ca ne tardera plus. Plus nous nous rapprocherons, plus nous aurons de chance de nous faire attaquer. Pour l'instant ils sont encore loin mais ils ne tarderons pas à nous sentir... ou plutôt à me sentir. "

Sur ces quelques mots, Kiryos se releva, et remit sa besace autour de ses épaules. La route était encore longue. Surtout avec ces monstres qui approchaient maintenant. A chaque pas, il pouvait maintenant sentir leur présence de plus en plus forte. Ce fut d'abord une simple impression d'yeux qui vous observe, puis le sentiment grandissant qu'ils étaient partout autour de vous, vous encerclant, prêt à se jeter sur vous, n'attendant qu'un instant de relachement pour s'emparer de votre vie.

Les quelques bosquets pouvaient tout aussi bien abriter une horde de tenebreux qu'un troupeau de mouton, bien que leur présence était bien plus qu'improbable dans cette région. Kiryos devait maintenant déployer tout ses sens, magiques comme physiques. On pouvait maintenant lire la tension et la concentration dans tout son corps, dans son regard. Il se tenait prêt à utiliser ses sort et son énergie. De toute facon celà arriverait bien d'un moment à l'autre...

Les deux hommes continuèrent leur route rythmant leur quotidien du cliquetis de leur paquetage et du léger et mélodieux tintement sonore de la boule magique de kiryios que Merian ne pensait pas avoir entendu avant la capture par celui-ci du ténébreux.

Merian repensa à ce que lui avait dit le faucheur. Ainsi, à demi-satisfait de la réponse, il hocha lourdement la tête. Les faucheurs pouvaient sentir les monstres approchés. Il tentait de se représenter comment un homme pouvait bien ressentir ceci. Peut être comme un forban, sa tête mise à prix, obligé de fuir. Mais un forban à vie, incapable de purger sa peine, ni de se racheter. Oui c'était bel et bien l'image qu'il trouvait la plus cohérente pour expliquer cet état. Le faucheur était un forban, traqué sans relâche. Et tout ce qu'il touchait comme liberté se résumait à quelques jours ou plus vraisemblablement quelques heures de répits entre deux traques. Comme un magnate entre deux consommation de magnase. Le scribe se permit un sourire en coin. Il n'était pas si différent finalement mais sans apercevaient-ils ? Probablement non.

Le scribe calmement pianota des doigts sur le plis de sa veste, alors que son regard préoccupé louchait ostensiblement en direction du réservoir de magie. Que pouvait bien penser le ténébreux au fond de ce bocal étroit ? Comment allait il considérer l'homme qui l'avait capturé ? Etait-il prisonnier comme ces proues vivantes que certains tadiliens rentraient dans des meubles de bois ? Et cette mélodie était-elle celle de sa souffrance ? Il n'aurait pas de réponse avec ce faucheur borné et il estima qu'il valait mieux ne plus rien laissez paraître. Mais à quel prix. Il trépignait d'impatience comme un mousse baltien la veille de son embarquement. Il se jura qu'il obtiendrait des réponses à Etheas.

Lorsque soudainement des cris stridents le sortirent de sa stupeur. Des cris d'enfants et celui d'adultes entrecoupés d'hurlements caverneux couvrirent la triste mélodie du réservoir de magie. Alors que le faucheur pressa le pas et que Merian tentait la poursuite d'un pas saccadé, il ne tardèrent pas à découvrir à une centaine de mètres une grande gerbe de terre se lever et s'affaisser telle une pluie de grêlon et de façon extrêmement énergique sur la silhouette d'une femme aux long cheveux brun.

Les yeux de Merian s'écarquillèrent lorsque la femme fit exploser dans une grande déflagration la terre autour d'elle et se tint horriblement droite malgré la violence de la retombée de terre qu'un enfant quant à lui n'avait pas vu déferler sur lui. Merian ne distinguait pas l'agresseur mais sa voix était particulièrement effrayante et très proche d'un son guttural typique d'un des patois parfait.

Merian se sentait balancé d'un extrême à l'autre. L'expression insipide habituelle de son compagnon de route avait disparu à l'annonce du combat. Comme si le faucheur n'existait que par l'enthousiasme débordant qu'annonçait chaque nouvelle situation périlleuse. Le faucheur avait encore foncé droit devant lâchant dans sa course le lourd fardeau que le vieillard représentait pour lui.

Il avait volé grillant ses ailes dans la vitesse, droit devant, sans se retourner... Captivé, comme un papillon de nuit par l'aspect rutilante de cette jolie femme, distinguée, et souriante qui avait tout pour plaire à n'importe quel homme de ce monde. De la force de caractère autant que d'hardiesse accompagnaient ses gestes et le combat qu'elle avait clos avait semblé pour le vieillard qu'il était, un bal clinquant porté par un orchestre et une collection de danseurs chevronnés.

Merian rajusta la sangle de son sac sur son épaule et força l'allure espérant que la proximité de deux Faucheurs suffisaient à assurer sa survie. Il lui sembla que les deux gamins l'avaient remarqué avant la ravissante faucheuse mais cette idée le quitta aussitôt lorsque la femme se retourna vers lui et lui lança en guise d'accueil un sourire sceptique que vint creuser les hurlements des monstres.

Merian se rapprocha des deux enfants et s'adressa aux Faucheurs comme il s'adressa au plus jeune d'entre eux : "Je ne suis pas bon soldat mais je comprends la détresse des hurlements parfaits. Il n'y a rien de bons à présager de leurs rencontres. Je porte mal l'épée mais j'essaierai de rester près des enfants."

Il n'y avait rien d'autres à ajouter. Pour ces gens, Merian n'était qu'un éphémère qu'il était facile de faire disparaitre. Une personne que l'on aurait facilement oublié, à qui il ne restait que la certitude que son travail une fois assemblé ouvreraient des pistes quant à l'emplacement des Parfaits à Tadil. Il était un pisteur. Il sentait qu'il touchait au but mais quelque chose l'en empêchait.

Mais lorsque Merian s'approcha du plus jeune enfant celui-ci recula criant comme s'il avait pu lire dans ses yeux un maléfice ignoble. Merian n'insista pas. Il passa ses doigts sous son menton qu'il n'avait pas rasé et regarda derrière lui. Ce n'était pas le vieux scribe qui avait été visé mais bien une sorte d'homme, tout vêtu de noir qui luisait d'un bleu glacial, là-bas, à l'orée des bois.

Merian se dégagea de l'arbre contre lequel le souffle de l'explosion l'avait propulsé. Effrayé et en même temps ravi par la démonstration de force du faucheur. Il se redressa de tout son haut et leva la tête en direction du plus jeune gamin recroquevillé dans les jambes de la faucheuse.

- Vous aviez raison Kiryos d'user de votre talent mais je crois que votre acte n'est pas sans attirer l'attention. J'ai cru comprendre que plus vous usiez de vos pouvoirs plus les monstres pouvaient le sentir.

Merian passa ses mains sur son dos froissé et lança un regard vers l'horizon. Plus au delà de la plaine se dressait un mont rocheux sur lequel semblait se dresser tel un sanctuaire un large bâtiment de pierre encerclé d'une haute muraille de pierres noirâtres. Alors que le Parfait tentait de percer le mystère de l'hybride fortification qui émanait de ce paysage, une ligne éclairante perça le ciel d'une trainée lumineuse violette.

- On est sauvé ! Cria le gamin d'une voix melant gaieté et soulagement.

Merian examina la place forte lorsque fusèrent deux autres trainées fluorescentes. Un sourire s'afficha bientôt sur son visage : " Je crois que nous allons pouvoir prendre un repos bien mérité." Ces paroles ne s'adressaient pas tant aux mages qu'à sa propre personne qui avait décidément bien souffert durant le périple.